Il est encore beaucoup trop tôt pour se prononcer sur les répercussions qu’aura Alexandre Texier dans la Ligue nationale. Le jeune homme de 19 ans n’a que six matchs derrière la cravate, même s’il a accompli de jolies choses dans ces six matchs–six victoires pour les Blue Jackets de Columbus.

Mais, en France, on peut déjà parler d’un « effet » Alexandre Texier. Le nom de l’attaquant, auteur de deux buts dans la victoire décisive contre le Lightning de Tampa Bay mardi, est sur toutes les lèvres dans le petit monde du hockey dans son pays d’origine.

Luc Tardif en sait quelque chose. Le président de la Fédération française de hockey sur glace est un homme occupé cette semaine, puisque Grenoble accueille le Championnat du monde des moins de 18 ans (division I, groupe A).

«On a [eu] un colloque des entraîneurs [hier]. On a commencé par remercier l’ensemble des entraîneurs français de hockey mineur, raconte Tardif, au bout du fil. Je fais l’introduction, je rappelle que les succès d’Alexandre sont le fruit de la formation qu’ils offrent. Disons que ça commençait bien le colloque!»

Il y a ça, et il y a un effet sur la patinoire. Jean-François Dufour est l’ancien patron de Texier, puisqu’il est directeur général des Brûleurs de loups de Grenoble, l’ancien club de Texier en Ligue Magnus. Ce Québécois installé en France depuis plusieurs années est aussi père de famille et son fils joue au hockey.

«Mon gars fait parfois la même célébration de but que lui, il spinne sa crosse et la glisse sous son bras. Plusieurs jeunes joueurs font aussi cette célébration par ici!», explique Dufour.

Célébration ou pas, il y a un engouement certain. «J’ai regardé en direct son premier match contre les Rangers [de New York], on était dans l’autobus après un match, raconte Dufour. Et les fois où on ne peut pas rester debout pour son match, on regarde les faits saillants le lendemain, on arrive au bureau et on parle de son match, de ses actions.»

«Les matchs de Columbus, tout le monde du hockey les suit, ajoute Luc Tardif. Même ses matchs à Cleveland étaient suivis! C’est notre fierté nationale.»

Un pionnier

Si Texier suscite autant d’enthousiasme dans l’Hexagone, c’est que son cas est unique. Non pas qu’il soit le premier Français à atteindre le circuit Bettman. Dans la LNH d’aujourd’hui, il compte même deux compatriotes : Antoine Roussel et Pierre-Édouard Bellemare. À Montréal, on a connu le gardien Cristobal Huet, tandis que Philippe Bozon a fait figure de pionnier une décennie plus tôt.

Mais Texier est le tout premier joueur à avoir été repêché directement en France. Bozon, Roussel et Bellemare n’ont jamais été repêchés ; les deux premiers sont venus jouer leur hockey junior au Québec, tandis que Bellemare s’est expatrié en Suède à 21 ans, avant d’accéder à la LNH à 29 ans. Huet, lui, a été repêché à 26 ans, trois ans après s’être exilé en Suisse.

«Ça nous récompense, car il a été entièrement formé ici, souligne Luc Tardif. On est fiers. Ça nous réconforte aussi, car souvent, on trouve que certains jeunes partent trop vite, trop jeunes, sans avoir toute la formation. L’histoire d’Alexandre montre que tu peux jouer en France, faire toute ta formation ici, et atteindre la LNH.»

Évidemment, ce n’est pas demain que la France menacera les nations bien établies du hockey. Mais il y a des indices certains de progression. Le pays a accueilli le Championnat du monde sénior de 2017, et le nombre de joueurs inscrits est en hausse. Le chiffre est passé de 18 041 en 2012-2013 à 21 667 en 2017-2018. On y compte maintenant 124 patinoires, soit 7 de plus qu’il y a cinq ans.

L’aide de la Finlande

Texier est un produit du hockey français, mais il a néanmoins dû s’expatrier lui aussi, une fois qu’il a été repêché. Les Blue Jackets l’ont invité à poursuivre son développement en Finlande, jugeant qu’à 18 ans, il était préférable qu’il évolue dans un calibre supérieur. C’est donc avec le KalPa de Kuopio qu’il a disputé les deux dernières campagnes.

Jean-François Dufour a côtoyé Texier de près pendant plusieurs années à Grenoble. Maintenant qu’il le voit aller dans la LNH, il remarque un joueur différent. D’abord, par son coup de patin, qui s’est grandement amélioré. Ensuite, parce qu’il est plus complet.

«C’est l’attention à son jeu défensif. Notre entraîneur insistait beaucoup sur son travail défensif. Mais, quand on l’a eu ici, il avait le palet 80 % du temps sur sa palette, donc défendre n’était pas sa priorité! La Finlande est réputée pour son hockey serré, donc il était à une bonne place pour apprendre. On voit maintenant sa volonté de bien se positionner en zone défensive. Sa crosse est toujours bien placée.»

John Tortorella a visiblement été lui aussi convaincu par les aptitudes défensives de Texier, l’employant régulièrement en fin de match dans les deux victoires les plus serrées de la série (3-1 et 4-3).

D’ailleurs, si Texier a pu marquer dans un filet désert, mardi, pour faire 6-3 avec 1 min 34 s à jouer, c’est qu’il avait gagné la confiance de son entraîneur…

L’envers de la médaille

Les succès de Texier, c’est bien beau. Mais, pour l’équipe nationale de France, ça pourrait signifier un joueur de qualité de moins au Championnat du monde en mai prochain.

«Il a fait une super saison en Finlande, même si son équipe a raté les séries. On pensait alors l’avoir pour la préparation en vue du Mondial, raconte Luc Tardif. Mais il a été envoyé à Cleveland. On regardait le classement de la Ligue américaine, on se disait qu’il ne serait pas là longtemps [Cleveland a été la dernière équipe qualifiée dans sa division]. Ensuite, Columbus a commencé à gagner en fin de saison. On se disait qu’ils n’iraient pas chercher un jeune au moment où ils se battent pour leur survie. Mais ils l’ont rappelé. Enfin, comme Columbus jouait contre Tampa Bay, on pensait qu’il allait revenir vite. Eh non!»

À cela s’ajoute le cas de Pierre-Édouard Bellemare. Les Golden Knights de Vegas mènent leur série 3-1 contre les Sharks de San Jose, ce qui signifie que Bellemare a de bonnes chances d’accéder au deuxième tour. «Nos joueurs, on leur veut du bien!», rappelle Tardif en riant.

Par ailleurs, Antoine Roussel, des Canucks de Vancouver, s’est fait opérer à un genou à la fin de mars et en a pour des mois de rééducation.